"Les Croisades vues par les Arabes" d'Amin Maalouf est un livre que je ne peux que vous conseiller de lire si vous voulez comprendre un peu le monde occidental dans lequel nous vivons et les relations avec le monde du Moyen-Orient mais aussi, et surtout, apprendre de nouvelles choses et en désapprendre certaines...
Cela fait déjà un an que je l'ai lu, mais les soi-disant nouveaux messages de Ben Laden, le terrorisme et son incompréhension sont toujours d'actualités...
Si l'on rajoute à cela les tristes évènements actuels au Liban, cet ouvrage ne peut que nous aider (occidentaux ou non) à mieux comprendre et appréhender ces choses, sans pour autant les pardonner... :-/

Couverture du livre d'Amin Maalouf : ''Les Croisades vues par les Arabes''.

Sans plus de commentaires, voici quelques extraits qui en diront bien suffisamment :

"[...] Ils lancèrent des attaques si violentes que les musulmans faillirent céder. Cependant, à chaque assaut, les Franj subissaient des pertes et leur nombre diminuait.
Les musulmans s'emparèrent de la vraie croix. Ce fut, pour les Franj, la plus lourde des pertes, car c'est sur elle, prétendent-ils, que le Messie, la paix sur lui, aurait été crucifié.
Selon l'islam, c'est seulement en apparence que le Christ a été crucifié, car Dieu aimait trop le fils de Marie pour permettre qu'un supplice aussi odieux lui fût infligé".
...

"Le 11 juillet 1191, après deux ans de siège, des drapeaux croisés apparaissent subitement sur les remparts d'Acre.
Les Franj poussèrent un immense cri de joie, alors que dans notre camp, tout le monde était hébété. Les soldats pleuraient et se lamentaient. Quant au sultan, il était comme une mère qui vient de perdre son enfant. J'allai le voir en faisant mon possible pour le réconforter. Je lui dis qu'il devait désormais songer à l'avenir de Jérusalem et des villes du littoral, et se préoccuper du sort des musulmans capturés à Acre.

Surmontant sa peine, Saladin envoie un messager à Richard [Cœur de Lion] pour discuter des conditions pour la libération des prisonniers. Mais l'Anglais est pressé. Bien décidé à profiter de son succès pour lancer une vaste offensive, il n'a pas le temps de s'occuper des captifs, pas plus que le sultan quatre ans plus tôt, lorsque les villes franques tombaient entre ses mains les unes après les autres.
La seule différence est que ne voulant pas s'encombrer de prisonniers Saladin les avait relâchés. Alors que Richard, lui, préfère les exterminer.
Deux milles sept cents soldats de la garnison d'Acre sont rassemblés devant les murs de la cité, avec près de trois cents femmes et enfants de leurs familles.
Attachés par des cordes pour ne plus former qu'une seule masse de chair, ils sont livrés aux combattants francs qui s'acharnent sur eux avec leurs sabres, leurs lances et même des pierres, jusqu'à ce que tous les gémissements soient tus."

"[...] tout au long des croisades, les Arabes ont refusés de s'ouvrir aux idées venues d'Occident. Et c'est là, probablement, l'effet le plus désastreux des agressions dont ils ont été les victimes.
Pour les envahisseurs, apprendre la langue du peuple conquis est une habileté ; pour ce dernier, apprendre la langue du conquérant est une compromission, voire une trahison. De fait, les Franj ont été nombreux à apprendre l'arabe alors que les habitants du pays, à l'exception de quelques chrétiens, sont demeurés imperméables aux langues des Occidentaux.
On pourrait multiplier les exemples, car, dans tous les domaines, les Franj se sont mis à l'école arabe, aussi bien en Syrie qu'en Espagne ou en Sicile. Et ce qu'ils y ont appris était indispensable à leur expansion ultérieure. L'héritage de la civilisation grecque n'aura été transmise à l'Europe occidentale que par l'intermédiaire des Arabes, traducteurs et continuateurs. En médecine, en astronomie, en chimie, en géographie, en mathématiques, en architecture, les Franj ont tiré leurs connaissances des livres arabes qu'ils ont assimilés, imités, puis dépassés. Que de mots en portent encore le témoignage : zénith, nadir, azimut, algèbre, algorithme, ou plus simplement "chiffre".
S'agissant de l'industrie, les Européens ont repris avant de les améliorer, les procédés utilisés par les Arabes pour la fabrication du papier, le travail du cuir, le textile, la distillation de l'alcool et du sucre - encore deux mots empruntés à l'arabe. On ne peut non plus oublier à quel point l'agriculture européenne s'est elle aussi enrichie au contact de l'Orient : abricots, aubergines, échalotes, oranges, pastèques... La liste des mots "arabes" est interminable.
Alors que pour l'Europe occidentale l'époque des croisades était l'amorce d'une véritable révolution, à la fois économique et culturelle, en Orient, ces guerres saintes allaient déboucher sur de longs siècles de décadence et d'obscurantisme. Assailli de toutes parts [Croisades des Occidentaux et vers la fin de celles-ci des attaques des Mongols, venant de l'Ouest], le monde musulman se recroqueville sur lui-même. Il est devenu frileux, défensif, intolérant, stérile, autant d'attitudes qui s'aggravent à mesure que se poursuit l'évolution planétaire, par rapport à laquelle il se sent marginalisé. Le progrès, c'est désormais l'autre. Le modernisme, c'est l'autre. Fallait-il affirmer son identité culturelle et religieuse en rejetant ce modernisme que symbolisait l'Occident ? Fallait-il, au contraire, s'engager résolument sur la voie de la modernisation en prenant le risque de perdre son identité ? Ni l'Iran, ni la Turquie, ni le monde arabe n'ont réussi à résoudre ce dilemme ; et c'est pourquoi aujourd'hui encore on continue d'assister à une alternance souvent brutale entre des phases d'occidentalisation forcée et des phases d'intégrisme outrancier, fortement xénophobes.
A la fois fasciné et effrayé par ces Franj qu'il a connus barbares, qu'il a vaincus mais qui, depuis, ont réussi à dominer la terre, le monde arabe ne peut se résoudre à considérer les croisades comme un simple épisode d'un passé révolu. On est souvent surpris de découvrir à quel point l'attitude des Arabes, et des musulmans en général, à l'égard de l'occident reste influencée, aujourd'hui encore, par des évènements qui sont censés avoir trouvé leur terme il y a sept siècles.
Or, à la veille du troisième millénaire [livre publié en janvier 1987], les responsables politiques et religieux du monde arabe se réfèrent constamment à Saladin, à la chute de Jérusalem et à sa reprise. Israël est assimilé, dans l'acceptation populaire comme dans certains discours officiels, à un nouvel État croisé [= appartenant aux croisés]. Des trois divisions de l'Armée de libération palestinienne, l'une porte encore le nom de Hittin et une autre d'Ain Jalout. Le président Nasser, du temps de sa gloire, était régulièrement comparé à Saladin qui, comme lui, avait réuni la Syrie et l'Égypte - et même le Yémen ! Quant à l'expédition de Suez en 1956, elle fut perçue, à l'égal de celle de 1991, comme une croisade menée par les Français et les Anglais.
Il est vrai que les similitudes sont troublantes. Comment ne pas penser au président Sadate en écoutant Sibt Ibn al-Jawzi dénoncer, devant le peuple de Damas, la "trahison" du maître du Caire, al-Kamel, qui a osé reconnaître la souveraineté de l'ennemi sur la Ville sainte? Comment distinguer le passé du présent quand il s'agit de la lutte entre Damas et Jérusalem pour le contrôle du Golan ou de la Bekaa ?
[...]
Dans un monde musulman perpétuellement agressé, on ne peut empêcher l'émergence d'un sentiment de persécution, qui prend, chez certains fanatiques, la forme d'une dangereuse obsession : n'a-t-on pas vu, le 13 mai 1981, le Turc Mehemet Ali Agca tirer sur le pape après avoir expliqué dans une lettre: J'ai décidé de tuer Jean-Paul II, commandant suprême des croisés. Au-delà de cet acte individuel, il est clair que l'Orient arabe voit toujours en l'Occident un ennemi naturel. Contre lui, tout acte hostile, qu'il soit politique, militaire ou pétrolier, n'est que revanche légitime. Et l'on ne peut douter que la cassure entre ces deux mondes date des croisades, ressenties par les Arabes, aujourd'hui encore, comme un viol."

Plutôt instructif, nan ? 😉
Bref, si vous avez lu jusque là, je ne peux que vous conseiller ce livre... 🙂